Dostena Anguelova

   

Huit poèmes

     

      

Frisson au fil rouge

Un peu de patience encore et la blouse blanche illuminera la chambre dimanche après-midi à l'odeur de pêche le parfum du visiteur du lit voisin laisse une trace c'est elle que reconnaît l'enfant le suivra le suppliera encore un peu encore un peu et le temps se rétrécira et frémira dans le tendon asséché de la main à côté de toi la balle roulera passera dans la cour du voisin dans la maison au trésor sale (on imaginait une grand-mère éternellement en pleurs) jusqu'à ce que seule la soif reste dans nos mains à les brûler à les démanger et nous courrons les paumes ouvertes pour la première fois et encore tant de fois je te cherchais.

      

Cène avec des coquelicots

   

                                                     Un jour les mensonges scintilleront
                                                     comme des coquelicots piétinés
                                                     et ce ne seront pas des mensonges
                                                     juste des coquelicots piétinés qui scintilleront

   

Boire leur rosée alors tu me rappelleras avec un collier rouge
le Jour de Pâques je viendrai et je ne serai pas pâle
avec tant de couleurs à fleur de peau
et une vague sous l'aisselle te portait
dans son creux se glisse l'amour se hérisse
le tendre duvet près du corps
au crépuscule quand le regard prédateur des arbres s'éteint
s'éteignent les haches peintes en rouge
entre les doigts se polit un soleil

                  une goutte

tu me reconnaîtras parce que ce soir là tous dîneront ensemble
chacun fixant la plaie
un couchant brise-lames
les vagues hautes comme la chute dans les rêves
alors tu dénoueras tes poings que je boive
cet instant
avant le déluge
prie que cet instant se prolonge
autant que dure la lune
pour qu'on apprenne les entrées simples la route
de ma maison à ta maison
que ton récit s'enroule s'écume la constellation
comme ta poésie cette nuit-là
que je sois avec toi
comme le feu avec l'arbre

juste autant qu'un premier baiser

impossible à tenir

pleureront aussi tous ceux qui dînent autour

et leurs yeux se rempliront des vagues hautes du déluge

Je te dirai alors «Regarde de quel bleu azur de quel blanc s'acquitte la mer aujourd'hui».

      

Département d'outre-mer

   

A Katerina A.R.

   

Floraison-putréfaction
l'instant d'un battement de cœur
la broche du soleil coïncide avec une vérité -
étrangère nue.

Après, les filets des pêcheurs plongent pour un destin ailleurs…
le lézard dépose sa salive au fond d'une nuit sourde, mangeuse d'enfants.
C'est l'île aux trésors qu'on découvre dans nos habits étroits,
trop étroits pour réapprendre l'amour - danse sur une jambe.

Tu vois le vieux boiteux qui joue aux échecs avec les deux bouteilles de bière.
Il parle à quelqu'un - Celui d'en face de son île. Il lui fait des grimaces, tire la langue, provoque. Rien ne suffit, tout déborde par cette chaleur suffocante.
«Ne me photographie pas te dis-je»- il bégaye en créole. «Tu veux? ... Tu vois? … Il n'y a plus d'enfants sur cette terre.»
Puis, il refait une grimace, pour plaire à celui d'en face
(Qui se rappelle l'enfance de son île?)
et récupère son œil - la bille en verre en bord de table.
«La nuit négresse mange les diamants des yeux des enfants, mange les enfants des diamants, mange, manger, mangeuse, magnifique …»

… «Photographie moi … si tu veux … tu comprends …

      

Pleureuses

   

Dans cette chambre aux nombreuses femmes : sa mère, sa femme, ses mères, ses femmes,
dans le harem aux murs citron, des fichus blancs sur les cheveux
- que leurs corps montent comme la levure.

Il ressuscitait dans leurs cœurs et dans leur pâte aussi, dans chacun de leurs sanglots
il fleurissait, Celui avec une couronne de cyclamens
- rappelle-toi la fleur sur les murs blanchis de Serifos.

Ah, du vin buvez, le pépin noir avalez,
le feu du couchant pétrissez, le soleil déracinez,
enfilez son sperme au collier, agitez au vent son drap ensanglanté,
que les petites filles fondent en larmes,
que les mères poussent des cris.

Ah, comme le coq étend son cou, resté aveugle au printemps passé.

Le pauvre, il cherche encore le couteau.

Ah, pourquoi est-elle si verte l'herbe …

… que je remonte au ciel avec les femmes, essuyer à leur robe blanche mes lèvres

                           encore trempées de framboises.

      

Parfois on l'appelait immortel

   

Que vaut le cœur

je l'aime quand il est sans pudeur
irresponsable - sans réponses
pour nos péchés

une roche de sel
enivrée

Difficiles sont les hivers à ces endroits
difficilement je vais me taire

pour que je laisse déserte
une des meilleures et des plus simples
chambres de mon cœur

pour que les vents y dressent leur lit
et qu'ils y parlent
marin mon père viendra
parfois pour discuter
et sur le cintre je laisserai fleurir
la plus belle robe de ma grand-mère

celle qui lui allait le mieux

et toi, quand tu viendras
que tu aies tout le nécessaire-
la grâce
un lit
des heures offertes-fleurs dans ton verre

alors, tu laisseras l'habit noir
se reposer
parler
avec la robe de ma grand-mère

      

Leçon

Un de ses yeux m'apprend
comment
ne pas ressembler
à la question concrète
la réponse est autre
n'est-ce pas dans ses yeux que s'instruit
une armée de lucioles
sans notion de la saison

      

Paris

A Paris les vieux aussi
ont un duvet de barbe
dans le métro bégaient
un rêve d'étudiants
dans leurs pensées
en compagnie de Derrida
comparent leurs vies
mais juste après leur pain
pourrit
et leurs cordons ombilicaux
ils les accrochent
derrière les oreilles

«… à chaque arrêt leurs plaies
s'ouvraient
Bienvenus
si tôt, si frais dans notre monde!»

Dans de rubans
les femmes emmaillotent
toujours la même pensée
leurs cœurs elles piquent contre
dans leurs manteaux
elles font pousser un parc
et un bistrot à l'angle avec deux trains
elles serrent bien leurs tailles.

Adolescents de toutes les tailles
promènent leurs vies en laisse
ensommeillés leurs rêves paissent bas
dans leurs nombrils des antennes hérissées
trébuchent sur leurs albums d'enfance
puis méfiants ils cueillent

les perles de l'Orient.

      

1

Mégot noir aux lèvres elle se réveillera

le poisson qui tournoya des heures dans son ventre
«Hrap» cracha une bille avec une flèche
verte
mais ses entrailles n'étaient-elles pas
déjà remplies

avec de telles graines son caviar brûla
le jardin.

L'écriture n'aida jamais les poissons.

   

2

Puis, la captura
ce miroir-là

couvre ses blessures
des boutons hérissés
à la place des tétons
ses yeux
ne se fermaient pas
deux cubes de glace
séchaient dans sa bouche.

Alors, elle enfonça sa main plus bas
et découvrit
une montre enfouie.

«J'ai menti,
pour le stylo», dit-elle.

«Jadis j'ai essayé aussi le concombre,
ce légume grossier,
mais je n'ai pas sympathisé
avec son froid»

Loin au Nord brillaient
les planètes en verre de son caviar

   

4

Troisième rêve.
D'où vient un si beau rêve?

      

L'auteur

Copyright © 2003 Dostena Anguelova

Poésie internationale: en anglais, en allemand
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